Une des clés de l’innovation digitale, c’est la capacité à faire, à inventer des solutions pour résoudre des problèmes nouveaux, à les tester et les peaufiner dans un processus permanent d’amélioration. Apprendre de ses erreurs est la base de la progression sur le chemin de la transition digitale. Voilà pourquoi j’ai eu envie de vous parler de mes échecs, de ces essais infructueux qui m’ont permis d’avancer sur le chemin difficile de la stratégie de contenu. 100% vécu !
# 1 Erreur de jeunesse : manquer d’ambition
Une de mes premières erreurs date du milieu des années 2000. A l’époque, je travaillais régulièrement avec l’une des premières agences de design UX françaises créée par trois jeunes hommes dans le vent que j’admirais beaucoup. Je faisais équipe avec eux sur la rédaction web et la création éditoriale, et j’accompagnais leurs clients en stratégie éditoriale. Kristina Halvorson n’avait pas encore sorti son petit livre rouge « Content strategy for the web », Dixxit n’avait pas écrit son jubilatoire livre blanc « Référencement : la revanche du contenu » et Jean-Marc Hardy était la référence absolue de la rédaction web francophone avec son site redaction.be.
La rédaction était toujours la cinquième roue du carrosse des projets web. Les rédacteurs et rédactrices web comme moi étaient toujours sollicité.e.s une fois les maquettes réalisées pour pondre des textes polymorphes et, comme Cendrillon avec sa pantoufle de verre, nous forcions les pieds des phrases pour les faire rentrer dans la chaussure trop petite, tout en râlant beaucoup, ce qui nous faisait passer pour une race d’êtres ronchons. Nous menions une ferme bataille afin de sensibiliser le monde du digital à l’importance de penser les formats et le design des pages en accord avec la réflexion sur l’écrit web.
Car, comme je l’ai expliqué longuement par la suite sur le blog d’Axe-net, on ne pense pas une page d’accueil principale comme une page d’accueil secondaire. Le type de biens que l’on vend, le sujet dont on parle déterminent le choix du format, la structure de la page et l’organisation du maillage des pages sur le site web. Une fiche produit en e-tourisme ne ressemblera pas à une fiche produit en e-commerce. Une page d’accueil d’un site institutionnel ne ressemblera pas à une page d’accueil d’un site d’information ni à celle d’un site e-commerce. Le storytelling, le message et les contenus poussés seront différents selon les objectifs et l’histoire de l’entreprise. Le sujet et la question posée par l’internaute influent également sur le choix du format de la réponse et son traitement (interview, article, dossier, vidéo, podcast, infographie…).
Mais revenons à notre projet ! La jeune agence m’avait sollicitée pour accompagner un de ses plus gros clients sur la taxinomie. Il fallait repenser les intitulés des catégories et harmoniser l’éditorial sur l’ensemble du site. J’ai pris le projet avec beaucoup d’enthousiasme. Or, très rapidement, je me suis rendue compte que le bazar extérieur correspondait en réalité à un problème de fond. L’entreprise avait racheté des services et intégré le contenu correspondant dans un site qui n’avait pas été conçu pour ça. Il fallait tout poser sur la table, tout réorganiser, tout repenser.
Plutôt que d’exprimer ce problème en étayant solidement mes conclusions, j’ai « fait le job » demandé. Je me suis concentrée sur les intitulés, en rappelant des règles de grammaire, en soulignant les incohérences lexicales. Au final, j’ai travaillé d’arrache-pied sur ce projet pour un résultat très médiocre. Et le jour de la présentation de mes recommandations, tandis que j’égrenais les erreurs grammaticales en montrant des captures d’écran au client, j’avais l’impression d’être une vieille prof de français aigrie ! Je savais que je ne répondais pas à sa demande : rendre le site plus fluide et plus attractif en l’aidant à prendre conscience de son problème de fond.
Ce que j’ai appris : ne jamais traiter le fond et la forme séparément dans un projet web, oser remettre en question l’existant, aborder les problématiques soulevées par la question éditoriale, aller au fond de ses idées, explorer ses doutes et proposer des solutions ambitieuses. Par la suite, j’ai développé une réflexion sur la nécessité de traiter l’identité de l’entreprise dans les contenus en travaillant sur la Charte éditoriale (dont j’ai présenté les premiers travaux lors des Journées du contenus web en 2011) et réfléchi à une méthodologie centrée utilisateur capable de cadrer la réflexion éditoriale, méthodologie que j’ai exposée dans le livre « Stratégie de contenu e-commerce » paru en 2017 aux éditions Eyrolles.
#2 Pêcher par excès d’ambition
Cette erreur-là, je l’ai payée au prix fort : le bon vieux burn-out qui vous laisse au tapis et vous met K.O. durant des mois ! J’ai d’ailleurs parlé de cette expérience dans La loi de l’élastique.
J’étais rédactrice en chef d’un magazine que j’avais créé. J’étais jeune et je me prenais pour une Wonder woman en collant bio avec un smartphone au bout des doigts. Je n’avais pas encore bien compris que le corps humain, tout comme la Terre sur laquelle il marche, avait des limites physiques que l’on ne doit pas dépasser. Je ne maîtrisais pas encore la loi élémentaire de l’élastique que chacun d’entre nous expérimente pourtant dès l’enfance : vouloir gonfler un ballon sans jamais s’arrêter n’est pas une bonne idée. Le ballon finit toujours par exploser avec grand PAF et il ne reste plus qu’une pauvre petite peau fripée. Ou en d’autres termes, il ne faut pas mettre en place une usine à gaz éditoriale lorsque l’on ne dispose que d’un effectif réduit.
J’avais de grandes ambitions pour ce nouveau magazine, et un budget relativement confortable mais une toute petite équipe éditoriale interne. Parties de rien avec mon associé.e, nous avons lancé une catégorie, puis deux, puis trois. Au départ, j’étais totalement enthousiaste. Les gens venaient à nous de partout ! Ils aimaient nos articles ! Après des mois à travailler dans le secret, c’était fantastique ! Nous courrions dans tous les sens. J’adorais mon travail. J’étais fière de mon équipe éditoriale. Tous les jours je me levais en me disant que j’avais trop de chance. Je rencontrais des gens passionnants. Je travaillais avec une équipe motivée. Je faisais un travail qui avait du sens.
Mais le jour où mon adorable stagiaire de 23 ans a posé un arrêt maladie pour surmenage, je suis redescendue sur le sol terrien en mode saut à l’élastique-trop-long. Peu de temps après, j’ai dû m’arrêter également car je n’en pouvais plus. En réalité, je n’arrivais plus à suivre le rythme infernal de l’animation éditoriale que j’avais moi-même créé.
Ce que j’ai appris : Savoir bien dimensionner son projet par rapport à l’équipe disponible s’avère une qualité capitale dans la réussite d’un projet éditorial à long terme. Certes, prévoir un site trop petit, c’est manquer d’ambition. Mais ce qui arrive le plus souvent dans notre monde de surproductivité, c’est plutôt de prévoir trop grand. Et ce genre d’erreur génère deux graves problèmes : une baisse de la qualité éditoriale et, pire, un épuisement de l’équipe.
Maintenant, je sais qu’il faut compter le temps, ne pas présumer de ses forces, utiliser des tableurs pour recenser les ressources humaines disponibles, bien gérer un budget, adapter le planning d’animation à la réalité, parler sans cesse avec son équipe et l’encourager à communiquer sur ses problèmes, dire non à son associée, savoir s’arrêter avant le surmenage complet et… conserver précieusement le nom d’un bon acupuncteur en cas de pépin !
#3 Rater son entrée
Cette fois-là j’avais été victime (encore !) d’un retard de train : merci la SNCF. Couchée à 1h00 du matin, stressée, j’étais arrivée en retard pour donner une formation en stratégie de contenu à des formateurs (rrraaaah !). Le directeur m’attendait de pied ferme, déjà contrarié et mal disposé à mon égard. A l’époque, je démarrais dans la formation. J’étais encore en rodage, jeune maman de 2 enfants en bas-âge, c’est-à-dire heureuse et… totalement épuisée 😀
Malgré tous mes efforts, durant les jours suivants je n’ai pas réussi à rattraper cette arrivée calamiteuse, ni à convaincre le directeur de mon expertise. Il me reprocha de ne pas avoir assez personnalisé la formation pour les besoins de son équipe, de ne pas être assez critique avec leurs productions durant les exercices… Je n’avais pas créé le cadre initial nécessaire pour instaurer la confiance. Et malgré les retours positifs de certains membres de son équipe à la fin des deux jours, j’en ai gardé un mauvais souvenir.
Ce que j’ai appris : pour me soigner, j’ai fait une formation de formateurs à la CEGOS et même une formation pour gérer les personnalités difficiles, travaillé à fond mes introductions et nourri mes formations en stratégie de contenu d’exemples bétons, d’exercices et de cas pratiques éprouvés dans différents domaines. Je prends toujours soin d’ajouter des exemples personnalisés et… d’arriver la veille avec une marge suffisante en cas de retard de la SNCF !
#4 Arriver en terrain conquis
Dernièrement j’ai entendu la directrice de la communication d’une entreprise me dire à la fin d’une présentation « le SEO ? On s’en moque ! » à propos de la refonte d’une vitrine digitale qui visait l’augmentation des leads. C’était une vitrine digitale. Elle considérait le SEO comme un point tout à fait secondaire de la stratégie de contenu et j’avais attaqué le projet bille en tête par cette dimension très technique sans prendre le temps d’expliquer la démarche.
Ce que j’ai appris : en stratégie de contenu, la phase de réflexion est la période la plus délicate. Un responsable de la communication ne comprendra pas toujours l’intérêt de faire le travail chronophage d’analyse sémantique des intentions de recherche qui donne pourtant des résultats fantastiques en SEO et UX, et permet de concevoir des stratégies de contenu centrées utilisateur. Il ne faut jamais cesser d’écouter ceux avec qui l’on travaille, leurs attentes et leur niveau de maturité digitale afin de pouvoir adapter la réponse et gagner leur confiance, sous peine de se voir renvoyer dans ses buts (On est les champions, on est les champions, On est, on est… ;-).
Plus les projets sont complexes et plus la dimension politique, la relation humaine, le capital confiance sont essentiels dans la réussite d’une stratégie de contenu. Rien n’est jamais acquis. Alors il faut parfois (souvent) s’armer de patience, repartir de zéro, faire de la pédagogie pour expliquer l’intérêt de la démarche et les bénéfices que va retirer l’entreprise d’un travail d’analyse préalable pour se démarquer de la concurrence.
Il n’existe pas une seule façon de mettre en place une stratégie de contenu efficace, avec une seule méthodologie à décliner selon les projets, mais des stratégies de contenu que l’on doit adapter en fonction du contexte, du profil du client et de l’entreprise !
Dépasser la peur de l’échec. Faire. Partager. Progresser.
Il faut du courage et de l’audace pour oser échouer. Un de mes livres préférés du moment s’appelle « L’Utopie, mode d’emploi ». Son auteur, Sandrine Roudaut, fait partie des femmes les plus audacieuses que je connaisse. Elle navigue en permanence en terre inconnue, défriche un espace mental vierge dans l’imaginaire moderne, toujours avec une grande humilité. L’un des conseils qu’elle m’a donné lors de notre première rencontre était : « cela ne sert à rien de critiquer. Ce qu’il faut, c’est faire ».
Je n’oublie pas ce conseil. Je tente de le suivre au quotidien dans tous les projets que j’entreprends.
Et vous, quelles sont les plus belles leçons que vous ayez apprises suite à vos erreurs ?
A lire
Réussir sa stratégie de contenu en 7 étapes clés
L’Utopie, mode d’emploi de Sandrine Roudaut, aux éditions La Mer Salée
(c) Photo de Une, Rawpixel
2 Commentaires
Merci pour cet article plein d’humilité et riche d’enseignements ! Je l’ai dévoré. Clairement, expérimenter, rater et recommencer, c’est le chemin obligatoire pour progresser.
Merci Anaëlle 🙂