Peux-tu te présenter et nous expliquer depuis combien de temps tu t’intéresses au design UX, et pourquoi ?
Je suis Directeur Conseil chez WAX Interactive, l’agence digitale du groupe SQLI. Je développe les activités de l’agence sur Bordeaux et la région Nouvelle Aquitaine, notamment le design d’expérience utilisateur (design de service, design thinking, UX design) mais aussi plus globalement le marketing et la stratégie digitale. Ma pratique de l’UX remonte à une dizaine d’années, elle a changé pour toujours ma manière de concevoir des services numériques en partant des usages, des comportements et de la psychologie des utilisateurs. Les bénéfices de cette démarche sont énormes : time-to-market réduit, prise de risque minimum tout en pouvant innover, meilleur engagement et satisfaction utilisateur, hausse du taux de conversion,…
Selon ton expérience, quel rôle joue le texte dans l’expérience utilisateur sur une interface web ?
Le texte est omniprésent dans l’expérience, car le web est intrinsèquement textuel, même dans le cas d’interactions vocales. Derrière le texte visible à l’écran, il y a les mots et le sens. Il y a aussi les programmes, les bases de données, les moteurs de recherche et les taxonomies des sites qui orientent nos parcours en fonction de nos requêtes et des contenus des pages. Pour l’utilisateur, les décisions qu’il prend sont directement liées à certains contenus et aux messages qu’il perçoit dans l’interface : clarté dans la description d’un produit, message de réassurance pour sa commande, la livraison, les retours,…
Longtemps on a considéré que le travail de l’UX était indépendant de la stratégie de contenu : l’ergonome proposait une interface intuitive avec du faux texte en latin et le rédacteur devait faire rentrer le contenu disponible bon an mal an. Mais heureusement, les temps ont changé et on ne plus créer une expérience centrée utilisateur sans embarquer les mots de l’utilisateur.
Tu es contre l’écriture inclusive en UX design, peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Entendons-nous bien : je suis totalement pour une manière d’écrire qui respecte le principe d’égalité entre les sexes, mais je considère que les modifications des règles d’orthographe avec le fameux « point milieu » sont une fausse piste. Je veux parler des déclinaisons basées sur les « .e » « eur.ice » « eur.se ». Par exemple : agriculteur.rice, chroniqueur.se.
Ces formes complexifient tout :
– en rédaction la grammaire devient un casse-tête, notamment les accords des adjectifs, les participes passés,
– l’effort en lecture surtout pour les plus jeunes qui essayent d’intégrer les règles déjà complexes du français,
– et surtout la compréhension. Etant donné la complexité du point milieu, je ne vois pas la population l’adopter largement.
C’est compliqué pour les utilisateurs mais c’est aussi compliqué pour les applications et les moteurs de recherche.
Actuellement, il n’y a pas de convention internationale qui acte officiellement les règles et les usages de ces formes, dans les langues les plus utilisées. Les éditeurs de site et les moteurs de recherche n’y ont rien à y gagner, ni en visibilité, ni en pertinence. Comment pourrait-on gérer ses campagnes adwords en écriture inclusive ? Même question pour le SEO ? Faut-il twitter en inclusif ? Repasser tout le contenu de son catalogue E-commerce en inclusif, même si vous avez 20 millions de produits comme Amazon ? Au delà de ces questions opérationnelles, il y a la question de la langue elle-même. Devrait-on transformer toutes les oeuvres littéraires en écriture inclusive ? Que donneraient les poésies de Ronsard avec le point milieu ?
Je crois qu’on fait porter injustement à la langue française le poids des inégalités hommes-femmes et que ce n’est pas le rôle de la grammaire d’être le porte-lance d’un combat qui est juste et nécessaire par ailleurs.
Je crois aussi que l’on paye cher une formulation très maladroite et très sexiste de la fameuse règle : « le masculin l’emporte sur le féminin ». Il n’emporte rien du tout. Ce n’est pas un combat, c’est une convention de langage pour simplifier l’écriture. Et cette simplification qui oublie le féminin doit probablement évoluer. Mais il faut pour moi encourager une rédaction inclusive plutôt qu’une grammaire inclusive. Par exemple dire « toutes celles et ceux » plutôt que « tous ceux », féminiser des titres « présidente » « directrice ». Et si on s’adresse à des directeurs et des directrices dans un texte, il faut faire l’effort d’écrire « Mesdames les directrices, messieurs les directeurs » plutôt que « M.Mme les directeur.rice.s »
Dans un précédent interview, le designer UX Nicolas Mantran nous expliquait les raisons pour lesquelles il avait choisi de tenter l’écriture inclusive sur Neo-nomade. Qu’aurais-tu envie de lui dire ?
Pour les raisons que j’ai évoquées plus haut, je ne crois pas que l’écriture inclusive avec le point milieu sont une réponse centrée utilisateur et ergonomique dans la conception de l’expérience.
Peux-tu nous citer des exemples dans lesquels la pratique de l’écriture inclusive ne fonctionne pas et rend la navigation fastidieuse d’après toi ?
Je n’ai encore vu aucune arborescence de catalogue E-commerce en écriture inclusive, pas plus que de boutons d’action. Mais le sujet est relativement neuf dans la sphère de l’UX design et je dirais qu’il y a un certain attentisme. On attend de voir si les utilisateurs s’emparent de cette pratique et changent leurs usages. Si tel est le cas, alors on devra tous les prendre en compte. C’est ça faire vraiment de l’UX Design !
A lire, à voir
Nicolas Mantran : « Nous avons profité de notre refonte éditoriale pour tenter l’écriture inclusive. »
Allez donc faire un tour sur le site Neo-nomade, rédigé en écriture inclusive, pour vous faire une idée.
Lire la discussion lancée sur le groupe Linked-In « Rédaction web, stratégie de contenu et référencement naturel »
[Ecriture inclusive] Quel impact sur le SEO ?
En particulier le témoignage d’Aurore KELLER : « Cela fait 2 ans que je suis un blog féministe relativement connu qui pratique l’écriture inclusive. Même en étant « habituée », je suis toujours aussi lente à la lecture et les efforts à fournir restent importants. Mieux, cela me fait fuir les articles le pratiquant, selon la fréquence des termes déclinés (et les accords qui vont avec), d’autant plus lorsque je suis dans un mode de lecture rapide.
Je suis pourtant bonne lectrice tant sur papier que sur Internet, mais je me sens réellement démunie face à cette pratique. Alors, je ne peux pas m’empêcher de penser aux dyslexiques, aux personnes malvoyantes, … Est-ce que cette écriture favorise l’accessibilité ?
Je suis actuellement en veille sur la question pour voir si je fais partie d’une minorité qui est littéralement repoussée par la pratique ou si je me fourvoie. Cela serait dommage de modifier nos modèles de rédaction s’il y a risque de ne plus être lu, donc de faire fuir les visiteurs.
Merci pour cette discussion en tout cas ! »
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